Entreprises, institutions, et même particuliers en conviennent désormais : l’usage généralisé d’Internet a bouleversé à la fois la perception de leur image, la façon de la construire, mais aussi les moyens de la défendre. Face à ces nouveaux défis, deux outils s’imposent dans une forme de complémentarité trop souvent théorique : celui de la Stratégie digitale, et celui du Droit.

« Maîtrisez votre e-réputation »

Le 24 mai dernier le cabinet Ernst & Young société d’avocats organisait à Montpellier une conférence sur les enjeux juridiques de l’e-réputation. Maître Marie Sonnier Poquillon, avocate en droit de la propriété intellectuelle spécialisée dans les questions relatives à Internet, et Maître Naïra Zoroyan, avocate en Droit social, y présentaient en binôme leur expérience sous le titre évocateur suivant : « Maîtrisez votre e-réputation ».

L’exposé fut clair et sa démonstration limpide : prévenir vaut mieux que guérir, et une e-réputation maîtrisée commence à l’intérieur-même de la structure concernée, par la régulation de l’usage d’Internet et la protection des données qui y transitent.

Face à ce constat de bon sens une réflexion s’impose : comment s’articule la complémentarité entre la stratégie de communication digitale, indispensable à la (re)construction d’une image sur Internet, et l’action juridique, indispensable à son encadrement ?

L’épée et le bouclier

Prenons un peu de hauteur de vue en nous basant sur l’exemple d’une marque d’entreprise : l’e-réputation, c’est l’image subjective de cette marque que se construit un internaute à partir des éléments disponibles sur Internet en rapport avec cette marque. Ces éléments peuvent avoir été mis en ligne par les internautes, ou par l’entreprise elle-même, et ce sur différents supports. Parmi les plus représentés citons les blogs, les forums, les réseaux sociaux, la presse en ligne, les wikis, entre autres.

Cette définition est parlante, parce qu’elle met distinctement en relief deux leviers d’action possible sur l’e-réputation d’entreprise.

Le premier, plutôt offensif, est celui de la construction sur Internet d’une image en cohérence avec le parcours, les valeurs, et bien entendu les objectifs de l’entreprise. Ce levier est stratégique : il consiste à mettre en place autour d’un site Internet ciselé dans cette optique une communication portée et relayée tour à tour par d’autres outils, dont un blog et des réseaux sociaux. Le cadre ainsi élaboré vise à imposer puis à gérer au quotidien l’image de l’entreprise, en bénéficiant en plus d’un contact direct avec les internautes.

Le second est plus défensif : il consiste à garder un regard sur les informations à propos de l’entreprise qu’Internet livre aux internautes, et à réagir rapidement face au discrédit en germe, qu’il s’agisse de diffamation, de dénigrement, de contrefaçon, ou encore de divulgation de données confidentielles. Ce levier comporte une grande part juridique : car si la veille sur Internet se fait via des outils spécifiques, seul le droit permet d’agir directement contre de telles publications.

S’il fallait donc sculpter dans le marbre la figure du chef d’entreprise partant à la conquête de son e-réputation de marque, il poserait avec l’épée de la Stratégie dans une main et le bouclier du Droit dans l’autre.

Une constante : la prévention

Pourtant il est une autre allégorie, peut être plus pragmatique encore, de l’e-réputation efficace : il s’agit de la fable de La Fontaine faisant allusion à une cigale négligente par opposition à une fourmi prévoyante. Et en ceci encore stratégie digitale et encadrement juridique se rejoignent.

En matière de stratégie digitale, l’efficacité repose en grande partie sur la cohérence globale du travail : un blog par exemple doit concevoir son apparence et sa ligne éditoriale en osmose avec l’ensemble de la communication de l’entreprise – c’est-à-dire pas seulement digitale. De même, l’utilisation des réseaux sociaux se positionnera d’emblée comme étant exclusivement au service de cette stratégie, et n’interviendra donc jamais de manière brouillonne ou spontanée, comme parfois certains préjugés insouciants le laisseraient envisager. Tout propos relève d’une ligne stratégique claire, qui elle-même se prépare en amont, idéalement dès la conception du site Internet, ou bien dans le cadre d’une refonte de celui-ci.

Or il en est de même en matière de Droit : dès la création de l’entreprise, son dirigeant doit désormais mettre en place les outils juridiques qui lui permettront de garder la main dans quelque situation que l’avenir lui réserve. Face aux épanchements préjudiciables d’employés aigris, par exemple, la rédaction d’une charte Internet ou encore d’un règlement intérieur abouti sont autant de jalons susceptibles d’être actionnés comme des coupe-feux en cas de litige.

C’est donc un fait : toute stratégie d’e-réputation doit, pour être efficace, reposer sur un environnement juridique stable et réactif, de même que toute action juridique doit, pour être suivie d’effet, s’accompagner d’une vision stratégique plus large. Mais si les outils évoqués ici permettent de dégager quelques vérités générales, il n’est pour autant aucune réponse préétablie face aux problématiques d’e-réputation. Et c’est sans doute l’un des paradoxes (réjouissant) de cet univers que de laisser autant de place à l’analyse et à l’empathie humaines dans un monde créé à partir d’algorithmes, de 0 et de 1.

Les EchosArticle publié dans Le Cercle Les Echos.

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