Cet article a été également publié dans Le Cercle Les Echos et sur LinkedIn.
Au cours des dernières semaines le paysage politico-médiatique français a affronté plusieurs situations inenvisageables jusqu’alors : l’élection de François Fillon à la primaire de la droite, celle de Benoit Hamon à gauche, le surgissement d’Emmanuel Macron dans le trio de tête des intentions de vote ont déjoué les pronostics les plus avertis. Or la généralisation de l’usage des réseaux sociaux et son impact en terme de ventilation de l’opinion est sans doute la piste la plus sérieuse d’explication de ces cas d’école.
Les réseaux sociaux, un porte-voix personnalisé pour tous les candidats
Le premier bouleversement apporté par les réseaux sociaux concerne l’audience potentielle des personnalités politiques candidates à une élection. Car malgré la loi sur l’égalité du temps de parole (assouplie d’ailleurs il y a un an), il reste encore impossible pour ceux que l’on nomme « les petits candidats » d’espérer se faire entendre au cœur du débat qui oppose les cadors de l’élection désignés par les sondages et les médias traditionnels.
Or les réseaux sociaux nuancent désormais ces règles pourtant quasi séculaires : un candidat dont la communication est structurée sur Twitter et Facebook par exemple possède à sa disposition et à celle de son équipe des outils qui lui permettent de créer du contenu pour expliquer son programme, valoriser ses idées ou intervenir à chaud en réaction à l’actualité, que ce soit sous forme de vidéo, « live » ou différée, par écrit ou via des visuels de type photo ou infographie.
Pour les candidats favoris, les réseaux sociaux deviennent alors un atout complémentaire à leurs interventions médiatiques : ils y informent leurs abonnés en amont des passages télé ou radio, y relaient les interviews en format vidéo (sous titrés désormais, pour être compatible avec l’autoplay muet de Facebook et Twitter) et leurs équipes y publient en direct (live tweet) leurs discours lors des meetings.
Pour les challengers désignés de l’élection, le potentiel est encore plus grand : outre les fonctionnalités évoquées ci-dessus les réseaux sociaux leur offrent en plus un cadre défini (le site du réseau social concerné) où ils sont à égalité de moyens techniques et d’audience potentielle avec leurs adversaires à la notoriété intouchable. Et là, un peu comme dans un match de Coupe de France où les clubs de Ligue 1 se font régulièrement battre par des équipes d’amateurs prêts à se transcender, tout devient possible.
Un électeur plus autonome
Car ce que l’élection présidentielle 2017 est en train de montrer, c’est que plus aucun pronostic ni sondage ne peut se prévaloir d’anticiper sur la suite d’une campagne. Il semble loin le temps où la majorité des électeurs déterminait son vote en fonction d’une convergence d’intérêts communs avec une personnalité politique candidate ! Internet a changé cela en morcelant la légitimité de chaque candidat.
Avant les réseaux sociaux, la légitimité d’un candidat était acquise bien avant l’élection. Une fois déterminée par son parcours au sein de son parti, puis par l’appui des militants et ténors, personne n’osait plus la remettre en cause, et c’était alors sur un programme plus ou moins bien incarné médiatiquement, voire sur des alliances politiques ou des consignes de vote à l’échelle d’un ou plusieurs partis que se déterminait l’élection.
L’électeur moyen de 2017 se détache de plus en plus de ces mécanismes. Via les réseaux sociaux il a appris que son avis compte, bien au-delà d’une seule voix le jour du scrutin. Par-là même il a appris aussi à considérer l’avis des autres, et à modeler sa pensée en y intégrant des éléments nouveaux. Loin de se déterminer sur un débat télévisé, il a désormais à sa disposition dans sa poche, sur son smartphone, une somme considérable de messages et de prises de parole qui lui permettent de se faire une religion, voire d’en changer si celle-ci lui semble soudain périmée.
Enfin, contrairement à ses ancêtres, il gère lui aussi (à son échelle bien sûr) sa propre image sur les réseaux sociaux : il fait donc preuve en matière de communication d’une maturité bien plus aboutie que lors des échéances précédentes.
Une fonction de mémoire collective
A cela s’ajoute un effet collatéral supplémentaire des réseaux sociaux, celui de la mémoire actualisée des prises de parole antérieures. Ainsi lors de la récente tourmente médiatique traversée par François Fillon nombreux sont ceux qui sont allés déterrer les tweets, dont certains dataient de plusieurs années, dans lesquels il fustigeait tout accroc judiciaire dans une carrière politique.
Les réseaux sociaux deviennent alors un partenaire ambigu de la vérité du moment : certes ils permettent de jauger le candidat à l’aune de ses propres prises de parole, disqualifiant au passage un adage de Henri Queuille florissant durant plusieurs générations politiques : « les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent ».
Mais d’un autre côté, fort de cet ascendant, ils peuvent également devenir les relais d’informations erronées (les « fake news ») à même d’influencer durablement certaines franges peu regardantes de l’opinion. Paradoxe supplémentaire, même dans le cas où une information erronée se répand via les réseaux sociaux, c’est encore grâce à ces mêmes outils qu’on les combat le mieux, et ce bien au-delà des problématiques politiques.
Souvenez-vous, il y a quelques mois à la suite d’une dépêche AFP victime d’un mauvais concours de circonstances Martin Bouygues, PDG du groupe éponyme, était déclaré mort. Alors que les hommages commençaient à se succéder, il avait fallu trente minutes (une éternité médiatique) pour que le démenti du décès parvienne jusqu’aux rédactions, quand un tweet de l’intéressé s’en serait chargé en quelques secondes. Problème : il n’était à l’époque pas inscrit sur Twitter.
Trois mois plus tard, cette erreur était réparée.