La campagne présidentielle de 2012 en a encore été un exemple, jusque dans son issue. Qu’ils perdent ou gagnent, les femmes et hommes politiques français n’ont qu’un mot à la bouche : “serein“.
Nicolas Sarkozy, perdant la présidentielle 2012 ? “Je suis serein“. François Hollande, remportant la même ? “Je suis serein“. Dominique de Villepin, il y a quelques mois, à l’approche d’un procès retentissant ? “Je suis serein“. Le mot “serein” doit être le plus employé à ce jour au sein de la classe politique française. Il n’en tient qu’à vous d’en juger par vous-même : prenez seulement le temps de questionner un lieutenant politique sur l’état d’esprit d’un ténor de son parti, et la réponse fusera : “il/elle est serein(e)”.
Le quiproquo initial
Pour les personnes qui l’utilisent dans un contexte de communication politique, le mot “serein” a une vocation bien précise : il vise à donner de leur personne – ou de celle dont ils parlent – une image de stabilité apaisée, d’immuabilité, y compris au sein du cyclone, qu’il soit euphorique ou tragique.
Il semblerait donc a priori que le mot “serein” soit employé exclusivement pour décrire (ou, plus souvent, mettre en scène) un état intérieur sur lequel les circonstances extérieures mouvementées n’ont pas de prise. Mais en étudiant son étymologie, on s’aperçoit qu’il s’agit là d’une évolution de son sens initial frisant le quiproquo.
Le mot “serein” nous vient de l’adjectif latin “serenus” dont le premier sens est, d’après le Gaffiot, “pur, sans nuages“. La métaphore météorologique était d’ailleurs déjà très souvent liée à l’emploi du mot en latin : le verbe “sereno” avait lui aussi le sens de “chasser les nuages de l’âme“.
Le quiproquo est soudain évident : alors qu’ils l’emploient pour suggérer un état, celui de l’absence de nuages, le mot “serein” devient dans un contexte de communication politique un attribut à valeur d’action, celle de chasser les nuages autour de l’image du personnage concerné. Ce n’est pas, à l’arrivée, l’homme politique qui doit être serein, mais bien le regard que le citoyen posera sur lui. Pour ne pas que le paysage soit sombre, on éclaire les lunettes du spectateur.
Effet collatéral
Cet emploi systématique n’a donc pas vocation à s’éterniser : sous peu, l’emploi du mot “serein” dans un contexte politique deviendra l’équivalent psychologique d’un tapis sous lequel la réalité poussiéreuse s’accumule, de la fumée annonçant un feu, ou de la roche dissimulant la fameuse anguille. Sans compter que l’effet de répétition reste l’un des plus efficaces en matière d’effet comique, et qu’il est peu probable que tout cela termine autrement.
Concluons enfin sur un dernier élément, l’homophonie du mot avec le nom d’oiseau “serin”, qui fut durant des décennies (révolues) en France le synonyme le plus abouti et employé des mots “idiot” et “imbécile”. Mieux vaut être débarrassé de l’imaginaire inconscient créé par cette dernière occurrence pour apprécier à leur juste valeur l’état d’esprit récurrent de nos responsables politiques.
Article publié dans Le Cercle Les Echos.